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Page:Séché - Les Muses françaises, I, 1908.djvu/62

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Or les vois-je cachés, sans ordre, et non peignés
En dédaignant chacun, d’un chacun dédaignés.
J’ai vu les tant bien faites et petites oreilles
Ouvertes, clair oyantes, blanches, un peu vermeilles.
Sarbacanes d’Amour, pleines de sa leçon.
Qui les gardait d’ouir autre parole ou son :
Or les vois-je fermées sans plus ouvrir leur porte
Aux chants, dits, ni propos qui du petit Dieu sorte.
J’ai vu les blanches mains, les doigts longs et subtils,
Desquels savait Amour faire ses fins outils.
Pour arracher les cœurs du plus profond du corps.
Les uns mettre captifs, les autres pis que morts :
Or les vois-je sans force de tenir n’arracher.
Sans être plus touchées ni pouvoir plus toucher.
J’ai vu les petits pieds, beaux, légers et pénibles,
Faisant pour leur seigneur choses tant impossibles,
Que roues de son char tant triomphant étaient.
Qui en danses, tournais et plaisirs le portaient :
Or les vois-je impotents sans plus bouger d’un lieu,
Sans plus être marchez, ni marchants pour leur Dieu,
J’ai vu le corps parfait et de telle grandeur
Auquel tant le rebours se trouvait de laideur,
Qu’Amour avait choisi pour sa très ferme tour,
Et son doux Paradis pour éternel séjour :
Or les vois-je changer de nature et de maître.
De vie et de beauté, de sentement et d’être.
Que ferez- vous (Amour) quand plus ne ])0urrez voir
Des beaux yeux par lesquels sur tous avez pouvoir ?
Quand ne pourrez ouïr de l’oreille fermée,
En qui votre parole fut reçue et aimée ?
Quand ne pourrez parler par cette bouche close.
Par laquelle en parlant vous pouviez toute chose ?
Quand ne pourrez des moins mortes ])lus tourmenter.
Ni assurer tous ceux qu’avez fait lamenter !
Quand ne pourrez des pieds votre char plus tirer,
Ni par eux en plaisirs vos servants attirer ?
Quand ne pourrez au corps qui fut votre demeure,
Le voyant ruiné, plus demeurer une heure ?
Mourez donques. Amour, en cette départie,
Ou, si vivre voulez, cherchez autre partie.
Dont vous puissiez tirer autant d’honneur et gloire.
Et qui de tous les cœurs vous donne la victoire.
Comme a fait ce corps-ci, cause de tous vos biens,
Que vous voyez tout mat et converti en riens.