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Page:Séché - Les Muses françaises, II, 1908.djvu/219

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COMTESSE MATHIEU DE NOAILLES 213

sur son inspiration et sa forme. — « C’est bien d’eux — écrit M. Charles Maurras — que Mme de Noailles a mémoire quand elle songe, écrit et vit. La face épanouie de la lune l’émeut à peu près des mêmes pensées qui auraient visité l’imagination d’une affiliée du Cénacle. C’est la rêverie de Musset devant Phœbé la blonde. À propos d’animaux, des « sobres animaux », quand elles les admire et les salue un à un, en suppliant une divinité champêtre de la rendre elle-même pareille à ces bestiaux suaves,

Rendez-nous l’innocence ancestrale des bêtes !

le souvenir de Baudelaire s’entrelace à celui de Vigny, qui voulait que les animaux fussent nos « sublimes » modèles. Enfin, elle s’est exercée à fusionner, sur les savants exemples de Victor Hugo, le matériel et le mystique, le pittoresque et le rêvé, le sentiment et la chair… »

Dans le même ordre d’idées, M. Léon Blum écrit ces lignes excellentes :

« Mme de Noailles n’est guère qu’une romantique, et c’est de Musset que je la verrais proche, un Musset qui ne cherche pas l’esprit, un Musset sans sa grâce allante et sa plaisanterie désinvolte, sans son penchant oratoire, sans toute sa facilité française, un Musset plus âpre, plus chargé, plus fiévreux, plus complexe, au sang plus lourd, je voudrais pouvoir dire un Musset barbare. »

Et pour en terminer avec les ; citations, encore ces lignes d’un jeune écrivain de talent, M. René Gillouin.

« Je ne sais qui a dit que, s’il était une petite fille qui fût née sous un chou, c’était certainement Mme de Noailles. Le mot est joli, mais un peu injuste. Sans doute les jardins, même potagers, ont leur part dans l’amour de Mme de Noailles ; et ne faut-il pas remercier le poète qui le premier sut dégager l’humble beauté de nos légumes ? »

L’humble beauté… Au fait pourquoi ne chanterait-on pas aussi bien les légumes que les fruits ? — la tomate rouge n’a-t-elle point sa beauté tout comme la pêche ou la grappe de raisin, et le superbe artichaut aux larges feuilles découpées n’est-il point aussi bellement décoratif que tant de plantes grasses souvent affreuses !… En quoi des vers comme ceux-ci ne sont-ils pas exquis :

Dans le jardin, sucré d’œillets et d’aromates.
Lorsque l’aube a mouillé le serpolet touffu
Et que les lourds frelons, suspendus aux tomates.
Chancellent de rosée et de sève pourvus,

Des brugnons roussiront sur leurs feuilles collées
Au mur où le soleil s’écrase chaudement,
La lumière emplira les étroites allées
Sur aux l’ombre des fleurs est comme un vêtement.

Au milieu de cet Eden familier, au milieu des doux parfums s’exhalant de la « courge humide et du melon », des coings savoureux et des framboises fraîches, le poète se sentira heureux, bon et reposé :