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Page:Sand - Œuvres illustrées de George Sand, 1855.djvu/225

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LES MISSISSIPIENS.

que des bras, et c’est absolument la fable du trésor caché dans le champ du laboureur. En le cherchant, on remue la terre, on la fertilise, et c’est ainsi, et non pas autrement, qu’on s’enrichit en Amérique.

BOURSET, tâchant de reprendre de l’assurance, et d’un ton brutal.

Vous ne savez pas ce que vous dites !

GEORGE.

Oh ! j’en fournirai la preuve à qui me la demandera.

BOURSET, à part.

Que la peste étouffe le philosophe ! Heureusement je le tiens par son côté faible. (Haut.) Vous êtes donc amoureux de ma fille ?

GEORGE.

Pourquoi me faites-vous cette question, puisque vous ne voulez pas me la donner en mariage ?

BOURSET.

C’est que vous ne me paraissez pas dépourvu de sens, et on pourrait peut-être s’entendre avec vous par la suite.

GEORGE.

Ce ne sera pas long ; car dans quelques jours le duc aura gagné les douze millions que vous lui promettez, ou perdu celui qu’il vous a confié.

BOURSET.

Il est certain que, s’il y a beaucoup de gens comme vous qui vont décrier nos affaires et nous ôter la confiance publique…

GEORGE.

Il y aura toujours des gens pour dire la vérité et des gens pour l’entendre. Ainsi jouissez vite de votre reste, vous touchez au dénoûment.

BOURSET, à part.

Il me donne froid, ce sauvage ! (Haut.) Et si je suis ruiné, puis-je refuser ma fille au duc de Montguay ?

GEORGE.

Oui.

BOURSET.

Touchez là ! Mais qui remboursera le million ?

GEORGE.

Vous et moi.

BOURSET.

Avec quoi ?

GEORGE.

Avec notre travail et notre probité.

BOURSET.

Hum !… Allons, faites la cour à ma fille, sous les yeux de sa mère, bien entendu ; mais pas un mot de ceci, et pas une démarche qui me discrédite auprès du duc.

GEORGE.

Je ne m’engage à rien de semblable.

BOURSET, à part.

Eh bien ! ni moi non plus, car je ne suis pas encore ruiné ! (Haut.) Nous reparlerons de cette affaire, et, en attendant, partons pour le bal ; il est temps.

GEORGE.

Avec ces dames ?

BOURSET.

Vous irez dans ma voiture ; elles iront dans la leur : nous froisserions leurs atours. Venez-vous ?

GEORGE.

Soit ! (À part.) Je ne te lâcherai pas.

BOURSET, de même.

Je saurai bien te tenir !

(Ils sortent.)

Scène VII.


JULIE, LOUISE, regardant à la fenêtre.
LOUISE.

Partons-nous, maman ? voilà la voiture de papa qui s’en va ; la nôtre attend.

JULIE.

Un instant, ma fille, j’ai quelques mots à vous dire.

LOUISE.

Oh ! j’écoute, maman.

JULIE.

Parlez-moi avec franchise, mon enfant, ouvrez-moi votre cœur comme à votre meilleure amie.

LOUISE, avec effusion.

Oh ! oui, ma chère maman.

JULIE.

Vous connaissez George Freeman ?

LOUISE.

Un peu… maman…

JULIE.

Dites toute la vérité ; votre mère veut votre bonheur, mon enfant. George m’a demandé votre main (Louise tressaille), et j’ai promis de la lui accorder si je puis m’assurer que son affection pour vous est sincère.

LOUISE, émue.

Oh ! s’il vous l’a dit, maman, j’en suis bien sûre.

JULIE.

Mais comment le savez-vous ? Il vous l’a donc dit ?

LOUISE.

Jamais, maman.

JULIE.

Louise, vous me trompez ; vous ne m’aimez donc pas ?

LOUISE.

Oh ! ma bonne mère, aimez-moi, car je ne demande qu’à vous chérir de toute mon âme.

JULIE, la caressant.

Eh bien ! ma fille, il t’a parlé d’amour ?

LOUISE.

Eh bien ! maman, je vous le jure, il ne m’en a jamais dit un mot.

JULIE.

Mais il t’a parlé de mariage, au moins ?

LOUISE.

Pas davantage. Il me disait toujours qu’il avait horreur du mariage, au contraire, et qu’il ne connaissait pas de lien plus avili par l’ambition et la cupidité.

JULIE, à part.

Ceci est pour moi. (Haut.) Et lorsqu’il t’a enlevée, où t’a-t-il conduite ?

LOUISE.

Oh ! il ne m’a pas enlevée ; c’est moi qui voulais me tuer.

JULIE.

Par amour pour lui ?

LOUISE.

Je ne le connaissais seulement pas ! Mais c’est que je m’imaginais !… oh ! pardonnez-moi, maman, j’avais bien tort ; car vous êtes si bonne pour moi ! je m’imaginais que vous ne m’aimiez pas.

JULIE.

Et lui, il t’a persuadé qu’il t’aimait ?

LOUISE.

Oh ! maman ! si vous ne me disiez pas qu’il vous a demandé ma main, je ne le croirais pas, car il m’a toujours traitée comme un enfant. Au couvent, il passait pour mon oncle, et il venait me voir seulement une fois par semaine à la grille du parloir. Et puis peu à peu, je ne sais comment, il est venu plus souvent, et il restait plus longtemps, mais toujours en présence de la tourière ; et il me parlait avec bonté, mais aussi avec une sévérité qui me tenait dans la crainte ; de sorte que je ne sais pas encore s’il m’aime, ou s’il a eu pitié de moi.

JULIE.

Et si tu le crains, tu ne l’aimes pas, toi !

LOUISE.

Oh ! je l’aime plus que je ne le crains, maman !

JULIE.

Et tu consentirais à l’épouser ?

LOUISE.

Oh ! oui, si vous y consentiez !

JULIE.

Et t’a-t-il écrit quelquefois ?

LOUISE.

Oui, maman, quelquefois. Tenez, j’ai encore là une lettre que j’ai reçue hier ; il ne croyait pas me voir aujourd’hui. Voulez-vous que je vous la montre ?

JULIE.

Sans doute.

LOUISE.

La voici.