Aller au contenu

Page:Sand - Adriani.djvu/73

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Ah ! vous regardez la jolie musique à madame ! On n’avait jamais rien vu de si beau ici, et madame musique que c’est un plaisir de l’entendre ! C’est mademoiselle Muiron qui a acheté ça à la vente du château de Lestocq, pas loin d’ici. Elle a vu estimer ça comme elle passait en se promenant ; elle a dit : « Ça fera peut-être plaisir à madame. » Elle a mis dessus, et elle l’a eu. Dame ! elle fait tout ce qu’elle veut, celle-là ! Si vous voulez musiquer, faut pas vous gêner, allez, c’est fait pour ça. Entrez, entrez ! mademoiselle Muiron ne s’en fâchera pas, puisqu’elle vous a fait déjeuner avec elle.

Là-dessus, elle poussa devant moi la porte du salon, qui n’était même pas fermée au loquet, et s’en alla faire son beurre.

Je te disais, l’autre jour, que j’avais eu une jouissance extrême à oublier tout, même l’art, ce tyran jaloux de nos destinées, ce mangeur d’existences, ce boulet qui m’a longtemps rivé à mille sortes d’esclavages ; mais on boude l’art comme une maîtresse aimée. Il y a deux mois que je n’ai rencontré que les chaudrons des auberges de la Suisse, deux mois que je n’ai tiré un son de mon gosier, et, à la vue de ce joli instrument, il me vint une envie extravagante de m’assurer que je n’étais pas endommagé par l’inaction. J’entrai résolûment, j’ouvris le piano, et, tout naturellement, la première chose qui me vint sur les lèvres fut le Nessun maggior dolore,