Page:Sand - Adriani.djvu/75

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

colique des lagunes sous le balcon de la pâle Desdemona. Je voyais un ciel d’orage, des eaux phosphorescentes, des colonnades mystérieuses, et, sous la tendine de pourpre, une ombre blanche penchée sur une harpe que la brise effleurait d’insaisissables harmonies.

Quand j’eus fini, je me levai, satisfait de ma vision, de mon émotion, et voulant pouvoir les emporter vierges de toute autre pensée ; mais, en me retournant, je vis, dans le fond de l’appartement, madame de Monteluz, assise, la tête dans ses mains, et la Muiron agenouillée devant elle. Il y eut un moment de stupéfaction de ma part, d’immobilité de la leur. Puis madame de Monteluz, la figure couverte de son mouchoir, et repoussant doucement Toinette qui voulait la suivre, sortit précipitamment.

— Mon Dieu, je lui ai fait peut-être beaucoup de mal ? dis-je à la suivante. Il me semble qu’elle pleure ! Et pourtant elle aime cet air, elle le chante !

— Elle le chante bien, répondit Toinette, mais pas si bien que vous, et elle ne se fait pas pleurer elle-même. Vous venez de lui arracher les premières larmes qu’elle ait répandues depuis sa maladie, et c’est du bien ou du mal que vous lui avez fait, je ne sais pas encore ; mais je crois que ce sera du bien. Elle est grande musicienne, mais elle ne se souciait plus de rien, et c’est par complaisance pour moi qu’elle chante et joue quelquefois, de-