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Page:Sand - Antonia.djvu/191

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portance, et tout à coup il se couchait sur sa mère et l’embrassait, ce qui signifiait qu’il s’amusait beaucoup, et qu’il la remerciait de l’avoir amené là.

Toutes ces simplicités de la vie moyenne, ce tutoiement, ces épithètes caressantes, vulgaires et saintes, éveillaient chez Julie tantôt une petite envie de rire, tantôt un attendrissement qui amenait des larmes au bord de ses paupières. Évidemment, tout cela était réputé de mauvais ton dans son monde ; c’était la manière d’être et le parler des petites gens. Marcel, dans le salon de madame d’Estrelle, prenait habilement l’attitude et le langage d’un homme qui sait pratiquer les convenances à tous les étages de la société. Dans son intérieur, il dépouillait cette convention, et, sans être jamais grossier, il reprenait le ton familier de l’intimité heureuse. Julie le surprenait donc oubliant sa tenue de cérémonie et vivant pour son compte d’une vie douce, confiante et détendue. Elle en était choquée et charmée, et peu à peu elle se disait que ces gens-ci étaient dans le vrai, et que tous les époux devraient se tutoyer, tous les enfants se précipiter sur leur mère, et tous les spectateurs s’intéresser au spectacle. Dans le monde où elle vivait, on se disait vous, on n’avait pas de locutions partant des entrailles, on quintessenciait tous les sentiments. L’élégance était avant tout dans la parole, et la dignité dans la caresse. Le cœur ne s’y mettait qu’en sous-ordre, et devait cacher ces effusions sous un certain apprêt glacé ou symbolisé jusqu’au madrigal. L’admiration pour le