Page:Sand - Cadio.djvu/314

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supposer, que votre patriotisme répugne à compter sur l’étranger pour faire triompher votre cause !

SAINT-GUELTAS, troublé. Il y a du vrai dans ce que vous dites : on n’accepte pas ce secours-là sans souffrir !… Mais croyez que je souffrirais encore plus d’avoir à vous exterminer ici à coup sûr, vous qui venez de me témoigner une loyauté chevaleresque. Faites-moi l’honneur de penser que ceci passe avant tout pour moi !

HENRI, s’inclinant. Puisque nous sommes en si bons termes, monsieur, permettez-moi de vous dire à mon tour ce que je pense de votre appréciation de notre force matérielle et morale. Fussions-nous encore moins nombreux qu’il ne vous plaît de le supposer, ce n’est pas sur quarante, c’est-sur deux cents lieues de profondeur que nous occupons la France. Nous sommes une nation, et si la liberté de rétablir la royauté ne vous est pas accordée, c’est parce que la France nous défendrait de vous l’accorder, quand même nous en serions tentés. La liberté ne règne pas, j’en conviens : le sentiment que nous en avons est trop nouveau pour ne pas être passionné, jaloux et ombrageux ; mais cette crainte que nous avons de la perdre, et qui a enfanté et supporté chez nous le système de la terreur, devrait vous prouver de reste que la France n’est pas royaliste. Vous caressez une erreur fatale qui vous met en guerre contre vous-mêmes ; elle vous égare dans vos notions de patriotisme et de loyauté. On nous a défendu de vous traiter de brigands… On a bien fait sans doute, et je suis loin de rire du titre sentimental de frères égarés qu’on vous a officiellement donné. Vous le méritiez, vous le méritez encore. Hélas ! vous ne savez ce que vous faites !