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Page:Sand - Cadio.djvu/38

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que ces demoiselles, puisque je ne sais pas si j’ai été amoureuse et si je le suis.

ROXANE. À la bonne heure ! On t’a prise comme une fille innocente, et j’aime à voir que…

LA KORIGANE. Vous ne voyez rien ! À l’âge de six ans, j’avais déjà un ami que je suivais partout : c’était un champi comme moi. Je l’appelais mon petit mari, et lui, il m’appelait sa petite sœur. Quand il a eu dix-huit ans et moi quatorze, on s’est fâché, parce que je lui disais : « Il faudra nous marier ensemble, » et que lui, il ne voulait ni amitié ni mariage. Il était devenu comme fou ; son idée, qu’il disait, c’était d’être moine. Alors, la colère m’est montée aux yeux. Je lui ai jeté mes sabots à la tête, et je me suis sauvée du pays, pieds nus, toujours courant. Je n’avais ni amis ni parents ; personne n’a couru après moi, et j’ai été ici et là, n’aimant personne et toujours en colère, toujours pensant à cet imbécile qui n’avait pas voulu m’aimer ! J’y ai pensé jusqu’au jour où j’ai vu Saint-Gueltas. Alors, j’ai toujours pensé à Saint-Gueltas, et j’ai oublié l’autre.

ROXANE. Et Saint-Gueltas… a-t-il fait attention à toi ?

LA KORIGANE. Je ne sais pas ! Un jour, votre cousine du Rozeray m’a dit des sottises et des injustices ; j’ai bien vu qu’elle était jalouse…

ROXANE. Allons donc, impertinente ! tu voudrais nous faire croire que la comtesse…

LA KORIGANE. Oh ! si vous vous fâchez, je ne dirai plus rien.

ROXANE. Si fait, parle encore ; tu nous amuses, tu nous distrais. — Que regardes-tu, Marie ? est-ce que mon frère ?… Il a promis de ne pas partir sans nous voir.