Aller au contenu

Page:Sand - Cadio.djvu/84

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

milieu possible. Eh bien, je me soumets, mon cœur saignera… j’obéirai ! Mais toi, tu n’as pas été libre de choisir, le jour où la République t’a enrôlé, et tu peux… Va, je fermerai les yeux. Quitte-nous, quitte-moi, et va rejoindre ta famille ; nul n’est forcé de devenir parricide.

HENRI, ému. Merci, mon capitaine, merci !

LE CAPITAINE. Tu acceptes, mon enfant ?

HENRI. Non, je refuse… Ce qui est vrai pour vous l’est aussi pour moi. Il n’y a pas deux vérités. Le jour où j’ai été enrôlé, j’étais royaliste. Je pensais comme ceux qui m’avaient élevé, comme la jeune fiancée qui m’était promise : c’est tout simple. C’est par dévouement pour eux, c’est pour leur laisser garder une apparence de civisme qui préservait leurs personnes et leurs biens que je les ai quittés avec une sorte de joie, tout en leur promettant de passer à l’ennemi aussitôt qu’ils auraient pu émigrer. Ils n’ont pas émigré. Eux aussi, ils ont manqué de logique ; eux aussi, ils aimaient la France ! Que voulez-vous ! c’est dans le sang des Sauvières ! Et moi, enfant, j’ai senti ça le jour où j’ai entendu résonner sur le pavé des villes le talon de mes premières bottes. Je me suis mis à aimer la patrie comme un fou en me voyant chargé de défendre le drapeau qui représentait son honneur et le mien à la frontière. Je n’ai pas raisonné ça, je n’ai pas eu le temps d’y réfléchir. J’ai senti mon cœur battre jusqu’à m’étouffer ! Mon oncle aurait dû prévoir que ça m’arriverait, lui qui a porté les armes pour la France. Est-ce que le premier roulement du tambour qui bat la charge, est-ce que le premier coup de canon qui ébranle l’air autour de nous n’enivre pas un homme de mon âge jusqu’au délire ? Allons donc ! si mes parents