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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/165

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ment dans sa chambre et à y prendre un des volumes qu’elle avait lus, pendant qu’elle emportait, mystérieusement aussi, le volume suivant à la promenade. Je cachais le mien dans mon panier, et, dès qu’elle commençait son dessin, je m’esquivais, certaine qu’elle allait bientôt lire. C’est à quoi elle ne manquait pas, et nous avons dévoré ainsi en cachette l’une de l’autre, séparées par un buisson ou une ravine, une prodigieuse quantité de romans.

Ces romans à la couverture crasseuse et aux marges maculées, mademoiselle Agar se les procurait en les louant aux libraires de Toulon par l’intermédiaire de madame Capeforte, avec qui elle était en bons termes, et qui voulait toujours être agréable à tout le monde. Ce n’étaient pas de mauvais livres à coup sûr, mais c’étaient de bien mauvais romans ; des histoires de sentiments contrariés, presque toujours des amants séparés par des aventures de brigands, ou par des préjugés de famille implacables. Cela se passait presque toujours en Italie ou en Espagne. Les héros s’appelaient presque toujours don Ramire ou Lorenzo. Il y avait partout des clairs de lune magnifiques pour lire des lettres mystérieuses, des romances chantées sous le balcon du manoir, des rochers affreux pour abriter de vertueux solitaires dévorés