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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/219

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ner, il s’en tirait par des dénégations enjouées qui étaient un sublime effort d’héroïsme.

Les choses ainsi arrangées dans ma cervelle, je reprenais mon rôle d’idole, qui me plaisait fort, et je considérais Frumence comme un adorateur digne de moi. Il était muet, soumis, craintif, admirable d’abnégation. Il me parlait sans trouble de mon futur mariage avec un homme de mon choix et de mon rang. Il était prêt à devenir le confident et le serviteur dévoué de mes illustres amours, sauf à mourir de désespoir le lendemain de mes noces avec Marius ou tout autre jeune homme bien né. Je le plaignais d’avance, ce noble ami sacrifié ; je lui élevais sur la montagne une tombe digne de lui, et je composais son épitaphe. Je lui appliquais ce vers du Tasse que miss Agar m’avait appris et qu’elle eût aussi bien fait de ne pas m’apprendre :

Drama assai, poco spera e nulla chiede.


Enfin j’embaumais Frumence dans mes souvenirs anticipés, et je me forgeais une chaste et douce mélancolie pour le temps où il ne serait plus.

Voilà comme j’étais guérie du romanesque ! Mais aussi quel est le moyen d’en guérir, quand les bonnes lectures vous tracent un idéal plus pur et