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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/262

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ne me déplaisait pas de rêver que j’étais un enfant du peuple destiné à retourner tôt ou tard à une vie de labeur et d’obscurité.

Et dans ce rêve, — je suis ici pour tout confesser, — j’entrevoyais un ami, un compagnon, un époux tel que Frumence, pauvre, inconnu, stoïque, travaillant de ses mains sous le soleil des jours et de son intelligence dans le silence des nuits. Un être réellement fort et courageux, dévoué jusqu’à l’oubli complet de soi-même, trempé dans le Styx et plus heureux de son devoir accompli que de toutes les faveurs de la gloire et de la fortune. Ce fantôme semblable à Frumence, ce n’était pas lui pourtant, ce ne pouvait pas être lui, puisqu’il aimait Jennie, et, d’ailleurs, je ne voulais pas que ce fût lui ; mais quiconque ne lui ressemblait pas à s’y méprendre ne me paraissait pas digne de ma confiance et de mon estime.

Cette préférence intellectuelle n’était pas une préoccupation constante. Je dois dire toute la vérité, ou du moins tout ce que je sais de cette énigme de ma vie. Je passai des jours, des semaines, des mois sans penser à Frumence, et, quand j’y pensais, c’était toujours avec une tranquillité morale de plus en plus assurée. Jennie ne me le rappelait guère. Plus absorbée encore que moi par sa tâche quotidienne, elle ne semblait jamais son-