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Page:Sand - Confession d une jeune fille - vol 1.djvu/56

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Le canon des forts tonnait au loin à toute heure ; l’entrée bruyante des navires dans le port, tous les signaux, tous les saluts étaient répétés dix fois par les échos de la montagne. La Dardenne grondait souvent aussi, quand les orages la rendaient méchante et lui faisaient franchir ses grands escaliers naturels de roches calcaires où croissaient les myrtes et les lauriers-roses. Le contraste de ces fracas soudains et brutaux avec ce paysage morne et désert est une des premières impressions d’enfance que je me retrace vivement. Plus tard, je l’ai souvent comparé à celui de ma vie intérieure, agitée, fantasque, au sein d’une vie extérieure aride et monotone.

Ma grand’mère cherchait toujours un moyen d’adoucir la misère de l’abbé Costel et de son fils adoptif, quand une occasion se présenta. Une nièce que ma bonne maman aimait mourut, et je vis cette chère mère pleurer pour la première fois, ce qui m’émut beaucoup. La défunte nièce, qui demeurait à Grasse de son vivant, venait pourtant nous voir si rarement, que je me la rappelle à peine. C’était une demoiselle d’Artigues, mariée sans fortune à un Valangis du Dauphiné, homme très-orgueilleux et très-nul, qui l’avait laissée pauvre avec un fils en bas âge. En mourant à son tour, elle avait exprimé le désir que ma grand’mère prît la