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Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/128

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une vilaine odeur de marécage, et fit venir la fièvre dans le château et dans les environs. Cette fièvre était très-mauvaise, plusieurs personnes en moururent, et madame Yolande, ainsi que presque tous ceux qui demeuraient avec elles tombèrent malades.

Madame Yolande avait des enfants établis dans d’autres pays, il n’était resté auprès d’elle qu’une de ses petites-filles, nommée Marguerite. C’était une enfant de quinze ans, très-avisée, très-courageuse et très-obligeante, qui se faisait aimer de tout le monde, encore qu’elle ne fût point du tout jolie. Elle était très-petite, très-agile de son corps et assez gracieuse ; mais elle avait le nez trop court, les yeux trop ronds, la bouche trop grande. Madame Yolande, qui avait été belle en son temps, disait parfois : — Quel dommage qu’une enfant si aimable et si intelligente ait la figure d’une petite grenouille !

Est-ce à cause de cette ressemblance que Marguerite aimait les grenouilles et qu’elle les plaignait en les voyant mourir de faim et de soif dans les fossés desséchés ? Malgré sa pitié pour ces innocentes bêtes, elle fit un jour une réflexion. C’est que, si les fossés étaient entièrement taris et cultivés en jardin, il y aurait là de beaux fruits abrités de la gelée, et que le terrain assaini ne donnerait plus de mauvais air et de fièvres aux gens du château et des environs. Elle soigna si bien sa grand’mère et ses vieux serviteurs qu’elle vint à bout de les guérir, et, quand l’hiver fut venu, elle dit à madame Yolande, à qui déjà elle avait parlé de son idée : — Grand’mère, voici les fossés tout à fait sans eau, la gelée a détruit