Page:Sand - Contes d une grand mere 1.djvu/264

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sentit très-honteux d’être si lâche devant un bossu, lui qui était monté à la grande dune et qui avait nagé dans la mer, deux choses que Tire-à-gauche n’eût jamais osé tenter. — Il faut, pensa-t-il, que je devienne un homme et que je cesse de craindre un autre homme ; sans cela, je serai toujours malheureux et ne pourrai aller où bon me semble. Je suis aussi grand et aussi fort que cet avorton de tailleur, et mon oncle Laquille assure qu’il n’est brave qu’avec ceux qui ne le sont pas. Finissons-en, allons ! et que les bons esprits de la mer me protégent !

Il remit fièrement ses trois plumes à son bonnet, posa ses trois pains sur l’herbe, et, ramassant son bâton qui était solide et ferré au bout, il s’en alla tout droit au-devant du tailleur, résolu à taper dessus et à le dégoûter de courir après lui. Quand il le vit en face, le cœur lui manqua et il faillit s’enfuir encore ; mais tout aussitôt il agita ses bras en se disant que c’était des ailes de courage, et il fit faire à son bâton un moulinet rapide très-bien exécuté. Le tailleur s’arrêta net, et, faisant deux pas en arrière : — Tiens ! dit-il en ricanant comme pour faire le gracieux ; c’est mon petit apprenti ! Holà ! Clopinet, mon mignon, reconnais-moi, je suis ton ami et ne te veux point de mal.

— Si fait, répondit Clopinet, vous voulez me voler mes trois plumes. Je le sais.

— Oui-da ! reprit le tailleur tout étonné, qui a pu te dire pareille chose ?

— Les esprits apparemment, — répondit Clopinet