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Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 3.djvu/165

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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

Hélas ! que sommes-nous devenus, et quelle expiation nous réserve la justice divine avant de nous permettre de nous relever ?

Vous, vous êtes plus heureux que moi, malgré la défaite, malgré l’exil et la persécution ; vous êtes plus heureux par ce seul fait que vous êtes Romain ; car vous l’êtes plus qu’aucun de ceux qui sont nés sur le Tibre. Et plus heureux que personne au monde, parce que vous seul (avec Kossuth) avez fait votre devoir. Quand je dis vous et Kossuth, je dis ceux qui étaient avec vous et ceux qui sont avec lui ; car les plus obscurs dévouements sont aussi chers à Dieu que les plus illustres. Et, à présent, ami, malgré le malheur, malgré la douleur, n’avez-vous pas cette satisfaction de vous-même, cette paix profonde de l’âme qui se sent quitte envers le ciel et les hommes ? N’avez-vous pas accompli jusqu’au bout une mission sainte ? n’avez-vous pas tout immolé pour la vérité, l’honneur, la justice et la foi ? n’avez-vous pas des jours résignés et des nuits tranquilles ? Je suis certaine que vous êtes calme et que vous goûtez les joies austères de la foi. On peut l’avoir pour les autres, pour l’humanité, quand on la porte en soi-même, quand on est soi-même la foi vivante et militante.

Oui, vous avez bien agi et bien pensé en toutes choses. Vous avez bien fait de sauver l’honneur jusqu’à la dernière extrémité, et vous avez bien fait aussi, lorsque cette dernière extrémité est arrivée, de sauver la vie des assiégés, des femmes, des enfants, des vieil-