Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 6.djvu/52

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fait toujours son œuvre et nous conduit toujours à mieux voir, à mieux agir. Rien n’est jamais perdu sans retour ; personne n’est absolument incorrigible. Où que nous soyons et quelle que soit notre destinée, croyons, mon ami, croyons à l’humanité ; car qui n’y croit plus doute de soi-même. Voilà pourquoi je veux encore rêver l’établissement d’une société fondée sur l’égalité, la justice, le dévouement. Que les institutions soient bonnes, et nos mœurs se modifieront.

Rêvez à cela dans votre retraite ; vous n’êtes pas seulement philosophe, vous êtes pratique. Faites un contrat social à votre point de vue, au point de vue de la société moderne, dont Rousseau n’a pas compris les qualités et les défauts, les droits et les besoins. Son idéal ne manquait pas de grandeur et de logique ; mais, tout novateur qu’il semblait, il était trop de son temps, c’est-à-dire pas assez critique et ne tenant nul compte des variations auxquelles la race humaine est soumise ; vous avez beaucoup connu d’hommes de toute nature et de tout rang, vous seriez très capable de nous faire une grande clarté en quelques pages. Personne en France n’en est capable à l’heure qu’il est : on est trop agité, trop brisé ou trop passionné.

Est-ce que vous restez en Suisse ? Si une éciaircie se faisait dans la situation et qu’on pût penser à vouloir quelque chose, nous irions vous voir. Nous nous mettrions dans quelque village aux environs et nous irions causer un peu avec vous.

Mais je ne sais quand les voyages seront possibles