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Page:Sand - Cosima.djvu/32

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ne vous avais jamais vue souffrir ainsi. Que peut-il donc manquer à votre bonheur ? vous la femme d’Alvise ! vous qui êtes adorée !

COSIMA.

Pourquoi me rappeler l’amour de mon mari ? Est-ce que je me plains d’Alvise ? est-ce que je l’accuse ?

NÉRI.

Peut-il exister d’autres chagrins pour vous que ceux du cœur ? En est-il d’autres à notre âge, Cosima ?

COSIMA.

Je te parle de mon ennui, mon pauvre Néri ! Si l’on connaissait la cause de ce mal, on en guérirait, car on y trouverait un contre-poison.

NÉRI.

L’ennui ! je ne sais ce que c’est, moi !… Le temps me semble toujours insuffisant au travail.

COSIMA.

Oh ! c’est que tu travailles, toi ! Vous ne connaissez pas les angoisses de l’oisiveté, vous autres hommes ! Vous avez de l’ambition, vous avez des devoirs ! Mais nous, de quoi pouvons-nous remplir le vide de nos journées ? Les travaux du ménage, dit-on ? Mais c’est bien peu de chose, lorsque nous mettons un peu d’ordre dans notre activité. Savez-vous que, sans manquer à aucun de mes devoirs, j’ai de reste, par jour, trois ou quatre heures dont je ne sais que faire ? Savez-vous que ce travail est insipide (elle montre son rouet chargé de soie), et qu’à chaque minute il me prend envie de briser ce rouet ? Ah ! cette soie que je file ne me sert qu’à mesurer les heures de mon lent supplice ! Tiens ! chacun de ces écheveaux te représente une semaine de mon agonie !… (Elle repousse brusquement le dévidoir qui tombe aux pieds de Néri. Au milieu des pelotons qui roulent, il se trouve une lettre qu il ramasse.) Que faites-vous là ? Pourquoi prenez-vous ce papier ?

NÉRI.

Il était dans votre sébile : c’est une lettre à votre adresse, Cosima… Vous ne l’aviez donc pas ouverte ?