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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

beauté d’un paysage, et on ne voudrait pas que l’élève eût la brutalité de ne pas le voir.

Je sais cela, je le reconnais, car je ne suis pas de ceux qui font systématiquement la guerre aux bourgeois. Je n’ai jamais fait de croisade contre les épiciers. Je suis persuadé qu’on peut vendre des câpres et du girofle, et savoir que ce sont-là des plantes adorables, non-seulement parce qu’elles rapportent de l’argent, mais parce qu’elles sont gracieuses et charmantes. Je crois qu’on peut être un bon paysan et tracer un sillon irréprochable sans être sourd au chant de l’alouette et insensible au parfum de l’aubépine. Je veux même qu’il en soit ainsi. Je veux qu’on puisse être parfait notaire et poëte à ses heures en parcourant la campagne ou en traversant la Seine. Je veux que tout homme se complète et qu’on ne lui interdise aucune initiation. C’est un préjugé de croire qu’il faut savoir les délicatesses du langage, les ressources de la palette, le technique des arts pour être en soi-même un critique délicat et pour soi-même un sensitif exquis. Exprimer est une faculté acquise, mais apprécier est un besoin, par conséquent un droit universel. Que les artistes l’éclairent et le consacrent, c’est leur mission ; mais invitons tous les hommes à s’en servir pour eux-mêmes, à en avoir la jouissance et à savoir la chercher et la savourer, sans se croire dispensés pour cela d’être