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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

Le riche a seul le droit de conserver un petit coin de la nature pour sa jouissance personnelle. Le jour où la loi agraire serait décrétée, il ne resterait plus un arbre en France. En Berry, on mutile l’orme pour nourrir les moutons, l’hiver, avec la feuille et pour chauffer le four avec les branches. Il n’y a plus que des têteaux, c’est-à-dire des monstres.

Tout le monde sait l’histoire du saule blanc en France ; c’est notre plus bel arbre, celui qui atteint les plus imposantes dimensions. Il n’en reste peut être pas trois ; mais certaines régions sont couvertes de petites boules de feuillage blanchâtre ayant pour support une grosse bûche informe toute crevassée, c’est là le saule blanc, le géant de nos climats.

La plupart des grandes étendues boisées se sont resserrées. Où trouver maintenant la forêt des Ardennes ! Les forêts qui subsistent sont à l’état de coupes réglées et n’ont point de beauté durable. Les besoins deviennent de plus en plus pressants, l’arbre, à peine dans son âge adulte, est abattu sans respect et sans regret. Que de colosses admirables les personnes de mon âge ont vu tomber ! Il n’y en a plus, il faut inventer des charpentes en fer, on ne pourra bientôt plus trouver ni poutres, ni chevrons. Partout le combustible renchérit et devient rare. La houille est chère aussi, la nature s’épuise et l’industrie