Aller au contenu

Page:Sand - Jean Ziska, 1867.djvu/196

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

et la fortune eussent peut-être fait de ce bandit un brave officier, un grand capitaine. Qui peut savoir cela, et qui s’en inquiète ? celui-là seul à qui l’éducation et le caprice de l’orgueil ont créé une destinée si contraire au vœu de la nature : moi ! Moi aussi, je viens de tuer un homme… un homme qu’un caprice analogue eût pu, au sortir du berceau, ensevelir sous une robe et jeter à jamais dans la vie timide et calme du cloître ! (Regardant Astolphe.) Il est étrange que l’instant qui nous a rapprochés pour la première fois ait fait de chacun de nous un meurtrier ! Sombre présage ! mais dont je suis le seul à me préoccuper, comme si, en effet, mon âme était d’une nature différente… Non, je n’accepterai pas cette idée d’infériorité ! les hommes seuls l’ont créée, Dieu la réprouve. Ayons le même stoïcisme que ceux-là, qui dorment après une scène de meurtre et de carnage.

(Il se jette sur un autre lit.)

ASTOLPHE, rêvant.

Ah ! perfide Faustina ! tu vas souper avec Alberto, parce qu’il m’a gagné mon argent !… Je te… méprise… (Il s’éveille et s’assied sur son lit.) Voilà un sot rêve ! et un réveil plus sot encore ! la prison ! Eh ! compagnons ?… Point de réponse ; il parait que tout le monde dort. Bonne nuit !

(Il se recouche et se rendort.)

GABRIEL, se soulevant, le regarde.

Faustina ! Sans doute c’est le nom de sa maîtresse. Il rêve à sa maîtresse ; et moi, je ne puis songer qu’à cet homme dont les traits se sont hideusement contractés quand ma balle l’a frappé… Je ne l’ai pas vu mourir… il me semble qu’il râlait encore sourdement quand les sbires l’ont emporté… J’ai détourné les yeux… je n’aurais pas eu le courage de regarder une seconde fois cette bouche sanglante, cette tête fracassée !… Je n’aurais pas cru la mort si horrible. L’existence de ce bandit est-elle