Page:Sand - La Daniella 1.djvu/110

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Je ne m’en fâcherais pas si ces saltimbanques emportaient leurs baraques et la décoration de petits frontons badigeonnés dont ils ont enlaidi l’arène du Colisée ; mais cette décoration bénite et consacrée durera peut-être plus que le Colisée lui-même. Il faut en prendre son parti, et ne pas s’arrêter sous ces puissantes arcades ruisselantes de végétation, au fond desquelles, au milieu d’une perspective magique de couleur, on aperçoit, de quelque côté qu’on s’y prenne, un de ces objets disparates qui tuent tout effet, en bannissant toute émotion sérieuse.

— Passons, me dit lord B***, qui avait voulu me servir de guide. Ce n’est rien de plus qu’un tas de pierres bien grand.

Il avait presque raison.

Le Forum, les temples, toute cette série de vestiges magnifiques qui s’étend le long du Campo Vaccino, depuis le Capitole jusqu’au Colisée, n’est réellement très-intéressante que pour les antiquaires. Les arcs de triomphe sont seuls assez entiers pour qu’on puisse les appeler des monuments. On est enchanté, cependant, au premier abord, de voir tant d’ossements du grand cadavre montrer encore l’étendue et l’importance de sa vie et de son histoire. Les fragments relevés ou gisants sont beaux, ou riches, ou énormes. Ce qui est resté debout fait encore grande figure à côté des constructions qui ont été accolées ou qui touchent de trop près, à côté surtout d’édifices modernes tels que le Capitole, qui est une jolie chose trop petite pour sa base. Mais, à part l’intérêt historique qui est incontestable, qu’est-ce qui manque donc pour que ces ruines ne produisent pas plus d’effet sérieux sur le commun des mortels comme votre serviteur ? Pourquoi n’éprouve-t-il qu’un saisissement de malaise et de regret plutôt que de surprise et d’admiration ? Pourquoi lui faut-il faire un notable effort pour se représenter le spectre du passé planant sur ces restes