Page:Sand - La Daniella 1.djvu/113

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sont assis sur tant de fûts de colonnes sans être asphyxiés, car les ruines sacrées sont presque aussi polluées que les rues fréquentées et les places publiques ; et, l’autre jour, j’ai vu la belle Medora au bras de mon ami Brumières, levant les yeux vers le fronton de Sainte-Marie-Majeure, et s’extasiant sur les délices intellectuelles de Rome…, mais promenant sa longue robe de soie et ses incommensurables jupons brodés… J’avoue que je n’ai pu retenir un fou rire, et que, ne pouvant plus songer à cette romantique beauté sans me représenter le spectacle de cette distraction, je sens que je ne pourrai jamais devenir amoureux d’elle.

Je vous demande bien pardon d’associer dans votre pensée l’image de Rome à celle de la révoltante obscénité de ses coutumes et franchises ; mais c’est le trait caractéristique qui, du premier moment, vous donne la clef de l’ensemble. L’abandon absolu de toute pudeur, l’absence de répression, la magistrale insouciance du passant, la fièvre et la mort planant sur le tout malgré une incessante pluie d’eau bénite, cela explique bien des choses, et il ne faut pas s’étonner si l’on a pu bâtir tant de cahutes avec les pierres des édifices sacrés, si des guenilles immondes flottent sur les précieux bas-reliefs incrustés dans tous les murs, et si, dans le monde moral que cet extérieur représente, il y a des vices infâmes vainement arrosés d’eaux lustrales, et des vertus natives écrasées sous d’effroyables misères.

Je me suis relevé de l’abattement moral où m’avait plongé cette première impression, au milieu des Thermes de Caracalla. Ceci est une ruine grandiose et dans des proportions colossales ; c’est renfermé, c’est isolé, silencieux et respecté. Là, on sent la terrifiante puissance des Césars et l’opulence d’une nation enivrée de sa royauté sur le monde.

Mais ce qui, pour mon usage personnel, me semble préférable à tout, ici, ce qui est unique dans l’univers, c’est le