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Page:Sand - La Daniella 1.djvu/126

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haïssent point, et que, tout en maudissant le joug qui les lie, elles ne le verraient pas se rompre sans douleur et sans effroi. Quelle est donc la cause du désenchantement de l’une et du découragement de l’autre ? Peut-être une fausse appréciation du monde extérieur, trop de dédain pour ce monde, de la part du mari, trop d’estime, de la part de la femme. Mais le dédain, chez lord B***, vient d’un excès de modestie personnelle, et, chez lady Harriet, l’engouement résulte d’un fonds de vanité frivole.

Voilà donc un ménage à jamais troublé, deux existences profondément gâtées et stériles, parce qu’une femme manque de bon sens, et un homme de présomption !

Je suis arrivé vite à parler de cette plaie secrète avec lord B***. Son seul défaut, c’est de la laisser voir trop facilement. Il y a si longtemps qu’elle le ronge ! Peut-être aussi n’est-il pas né avec beaucoup d’énergie. Je lui ai appris que j’avais entendu sa conversation avec l’officier de marine, à la Réserve, et que j’avais résolu de lui en garder le secret, même avant de prévoir que nous serions liés ensemble. Il m’en sait un gré infini et me tient pour un homme excessivement délicat. Il ne s’aperçoit pas que ma discrétion ne sert pas à grand’chose, et que son attitude pénible, mélancolique et un peu railleuse auprès de sa femme, fait deviner à tout le monde ce que je sais avec plus de détail seulement. Je me suis permis de le lui dire, et il m’a remercié de ma franchise, en promettant de s’observer ; mais lady Harriet a, dans ses indignations rentrées ou dans ses soupirs de compassion, quelque chose de si blessant pour lui, que je doute de l’utilité de mes humbles avis. Il semble, d’ailleurs, que tous deux soient tellement habitués à ne pas s’accepter, qu’ils périraient d’ennui et ne sauraient plus que faire d’eux-mêmes, si on arrivait à les mettre d’accord.

La belle Medora devrait être un trait d’union entre eux ;