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Page:Sand - La Daniella 1.djvu/170

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— Si ! je vous connais, s’écria-t-elle. Ce n’est pas votre méchanceté ni votre indiscrétion que je crains ; c’est votre fierté puritaine. Vous savez que je vous aime, et moi, je sais que vous m’aimez ; mais vous avez peur de mes millions, et vous croiriez vous abaisser en faisant la cour a une femme riche. Eh bien, moi, je suis lasse d’être le but des ambitieux et l’effroi des hommes désintéresses. Je me suis dit que, le jour où je me sentirais aimée pour moi-même par un homme délicat, je l’aimerais aussi et le lui dirais sans détour. Vous êtes celui que j’ai résolu d’aimer et que je choisis. Il y a assez longtemps que vous résistez à vos sentiments et que vous vous faites souffrir vous-même en me tourmentant de votre prétendue antipathie. Finissons-en ; dites-moi la vérité, puisque je désire l’entendre, puisque je le veux.

J’espère, mon ami, que vous riez en vous représentant la figure ébahie de votre serviteur. Je me sentis l’air si bête, que j’en fus honteux ; mais il me fut impossible de dire autre chose que ceci :

— En vérité !… je jure, sur l’honneur mademoiselle, que je ne me savais pas amoureux de vous !

— Mais, à présent, vous le savez, s’écria-t-elle ; vous le sentez, vous ne vous en défendez plus ? Est-ce là ce que vous voulez dire ?

— Non, non ! répondis-je avec effroi ; je ne dis pas cela.

— Non ? vous dites non ? Alors je vous hais et vous méprise ?

Elle était si belle, avec ses yeux secs enflammés, ses lèvres pâles et cette sorte de puissance que donne la douleur ou l’indignation, que je me sentis redevenir ivre. La beauté a un prestige contre lequel échouent tous les raisonnements, et, en ce moment, celle de Medora réalisait tout ce que peut rêver, tout ce qui peut faire battre un cœur de jeune homme !