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Page:Sand - La Daniella 1.djvu/242

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eux. On dit qu’il n’y a pas un coin sur la terre où quelqu’un ne conserve précieusement un petit morceau de ce qui traîne à terre dans la campagne de Rome. Vous voyez donc bien que ce qui est ancien et lointain paraît plus précieux que ce qui est nouveau et proche.

— Vous dites vrai ; mais la raison de cela ?

Il haussa les épaules, et je vis qu’il allait, encore une fois, se tirer d’affaire par l’éternel chi lo sà, si commode à la paresse italienne.

Chi lo sà, lui dis-je bien vite, n’est pas une réponse qui convienne à un homme de réflexion comme vous. Cherchez-en une meilleure, et, quelle qu’elle soit, dites-la-moi.

— Eh bien ! reprit-il, voilà ce que je m’imagine : quand nous vivons, nous vivons ; c’est-à-dire que, grands ou petits, nous sommes sujets ans mêmes besoins, et les grands ne peuvent pas se faire passer pour des dieux. Quand ils n’y sont plus depuis longtemps, on s’imagine qu’ils étaient faits autrement que les autres ; mais, moi, je ne m’imagine pas cela, et je dis qu’un vivant que personne ne connaît est plus heureux qu’un mort dont tout le monde parle.

— Vivre vous paraît donc bien doux ?

— Eh ! la vie est dure, et cependant on la trouve toujours trop courte. Elle pèse, mais on l’aime. C’est comme l’amour, on donne la femme au diable, mais on ne peut se passer d’elle.

— Êtes-vous donc marié ?

— Quant à moi, non. Un pâtre ne peut guère se marier tant qu’il court les pâturages. Mais vous, vous devez avoir femme et enfants ?

— Mais non ! Je n’ai que vingt-quatre ans !

— Eh bien ! voulez-vous attendre que vous soyez vieux ? Quel est le plus grand bonheur de l’homme ? C’est la femme