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Page:Sand - La Daniella 1.djvu/28

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vous le cacherai plus ; si horrible pour moi, si antipathique à ma nature, si contraire à ma santé, que, sachant votre amitié pour moi, je n’ai pas voulu vous écrire l’état de souffrance où, depuis deux ans, mon cœur et mon âme sont plongés. Je pars, je vais passer un mois chez mon oncle et ensuite un ou deux ans en Italie.

— Ah ! ah ! tu as donc le préjugé de l’Italie, toi ? Tu crois que l’on y devient artiste plus qu’ailleurs ?

— Non, je n’ai pas ce préjugé-là. On ne devient artiste nulle part quand on ne doit pas l’être ; mais on m’a tant parlé du ciel de Rome, que je veux m’y réchauffer de l’humidité de Paris, où je tourne au champignon. Et puis, Rome, c’est le monde ancien qu’il faut connaître ; c’est la voie de l’humanité dans le passé ; c’est comme un vieux livre qu’il faut avoir lu pour comprendre l’histoire de l’art ; et vous savez que je suis logique. Il est possible qu’après cela je retourne dans mon village épouser la dindonnière, accessible à tout propriétaire de ma mince étoffe. Je dois donc me maintenir dans ce milieu : faire tout mon possible pour devenir un homme distingué, et en même temps, tout mon possible pour accepter sans fiel et sans abattement le plus humble rôle dans la vie. Rester dans cet équilibre ne me coûte pas trop, car je suis tiraillé alternativement par deux tendances très-opposées : soif d’idéal et soif de repos. Je vais voir laquelle l’emportera, et, quoi qu’il arrive, je vous en ferai part.

— Attends un peu, lui dis-je comme il prenait son chapeau pour s’en aller. Si tu échouais dans la peinture, ne tenterais-tu pas quelque autre carrière ? La musique…

— Oh ! non. Jamais la musique ! Pour l’aimer, il faudra que je l’oublie longtemps ; mais, plutôt que d’en vivre, j’aimerais mieux mourir : je vous ai dit pourquoi.

— Il faut pourtant que tu sois artiste, puisque tu as la haine des choses positives, et que tu n’as pas fait d’études