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Page:Sand - La Filleule.djvu/100

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Vous viendrez me voir, n’est-ce pas ?

Ce fut un coup de massue pour moi. Je regardai Anicée d’un air de reproche inexprimable. Elle pâlit. Sa mère nous regarda tous deux. Il n’y eut pas, il ne pouvait pas y avoir d’autre explication entre nous. À voir les choses d’une manière positive, j’étais fou de rêver autre chose que l’hospitalité d’une ou deux semaines. Mais moi, je trouvais ces convenances fausses et lâches. On m’estimait plus que les autres, j’étais le seul ami jeune en qui l’on eût et l’on dût avoir une entière confiance ; on m’avait donné cette confiance dès le premier jour, et, après six mois d’épreuve, quand on devait être arrivé à la certitude, on avait peur d’être jugée trop confiante, on me sacrifiait à la crainte de quelque jalousie d’entourage ou de quelque impuissante malveillance. Je me sentais brisé, je fis mes adieux sans amertume. Il me sembla que je n’aimais plus cette mère que j’avais osé comparer à la mienne, et que sa fille, ordinairement si courageuse, en ce moment si craintive, ne méritait plus une si enthousiaste admiration de ma part.

En un instant, sans doute, mon attitude et mon langage exprimèrent la tristesse résignée de cette déception. Anicée, moins maîtresse d’elle-même, regarda, à son tour, sa mère d’un air de reproche plein d’anxiété, et comme je sortais, elle s’écria, plutôt qu’elle ne me dit, de revenir à l’heure du départ, le lendemain matin, pour l’aider à prendre ses dernières dispositions. Je répondis que j’étais à ses ordres, mais d’un air de demi-détachement qui n’était pas joué. Je la voyais bien rougir et souffrir de son manque de parole ; mais je voulais qu’elle eût la force de le réparer ouvertement, ou de se repentir avec franchise de l’imprudence de sa promesse. Elle m’avait rendu la vie, elle me la reprenait sans motif et sans excuse. Je sentis pour la première fois que la douceur de mon tempérament cachait une fermeté réelle, inébranlable. Non, non, je n’étais pas un enfant !