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Page:Sand - La Filleule.djvu/103

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chez nous de vos courses scientifiques, reprit-elle d’un air contraint et presque froid.

J’avais provoqué mon arrêt. Je ne devais venir qu’en visite et le moins possible. Je l’aimais mieux ainsi, moi qui voulais connaître mon sort. C’est dans l’ordre : le bonheur ferme les yeux sur le lendemain, le malheur ne sait pas vivre au jour le jour. J’étais calme comme un martyr. Anicée me sembla plus calme que moi encore, car, ce jour-là, elle n’était pas même triste. Ses yeux avaient une expression que je ne comprenais pas, et dont la tranquille douceur me faisait parfois l’effet d’une insulte.

Au moment de monter en voiture :

— Venez ici, parrain, me dit-elle, en me présentant la petite Morena. Donnez votre bénédiction à votre filleule.

Et, comme je me penchais sur le berceau pour embrasser l’enfant :

— Stéphen, me dit-elle à voix basse, comptez un peu sur l’avenir et sur moi ; notre amitié est indissoluble.

Je relevai les yeux sur elle, je lus dans les siens cette sorte d’enthousiasme inspiré qu’elle avait quand elle prenait une résolution généreuse qui devait triompher de la prudente sollicitude de sa mère. Je ne sais ce qui se passa en moi ; je passai de l’abattement à une sorte de joie pleine de sécurité.

— Merci ! lui dis-je.

El le chevalier nous sépara. Il partait avec elles.

Hubert Clet et Edmond Roque étaient là aussi. Edmond était venu assez rarement dans le courant de l’hiver, mais, avec les gens qui lui plaisaient, il était ami, et même naïvement familier, dès le premier jour et pour toute sa vie ; il n’avait donc pas manqué de venir faire les adieux de l’amitié à la dernière heure. Julien, qui restait quelques jours encore à Paris, avait invité son ami Clet à déjeuner, et continuait à ne pas se douter que ce personnage fût antipathique à sa sœur.