Page:Sand - La Filleule.djvu/114

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lant la suivre, avais été fier de l’idée de lui sacrifier toute ma vaine science et tout mon avenir intellectuel !

— Non ! non ! m’écriai-je en me jetant hors de ce lit moelleux où j’avais été déposé comme par le Samaritain de l’Évangile. Je n’accepterai pas leurs bienfaits ! Ce n’est pas ainsi que je veux faire fléchir la rigueur de ma destinée. Je suis trop jeune de dix ans, voilà mon tort. Il faut que je le répare par une volonté surhumaine.

Mon parti fut bientôt pris. J’écrivis à madame Marange :


« Vous l’avez deviné, mon secret, je n’ai pas besoin de vous le dire. J’en conviens avec vous. Vous savez que je ne le lui ai jamais dit, à elle ; car vous lisez dans son cœur, et j’espère que vous estimez un peu l’honnêteté du mien.

» Vous voulez qu’elle se marie, je l’ai bien vu. Vous ne repoussez pas d’auprès d’elle les hommes de quarante ans qui ont du mérite. C’est elle qui les refuse au bout de deux entrevues. À la première, c’est l’autorité qu’elle vous concède ; à la seconde, c’est son droit qu’elle reprend.

» Vous ne tenez ni à la naissance ni à la fortune. Vous êtes d’origine plébéienne. Vous êtes assez riche, et, d’ailleurs, votre esprit est trop élevé, votre âme trop noble pour ne pas préférer l’honneur et la vertu à toutes choses.

» Mais vous vous méfiez de la jeunesse. En théorie, vous avez raison. Je vous ai souvent entendue blâmer les amours disproportionnés sous le rapport de l’âge. Vous disiez qu’une femme du vôtre est vieille et qu’un époux de trente-cinq ans est encore un jeune homme. J’ai bien tout compris, rien ne m’inquiétait ; vous l’avouerai-je, je ne prenais rien de cela pour moi.

» Vous n’avez pas voulu admettre d’exception en ma faveur, force m’a été de comprendre. Pourquoi donc me ramenez-vous aujourd’hui ici ? Parce que la maladie et la détresse