Aller au contenu

Page:Sand - La Filleule.djvu/131

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lui donnai rendez-vous pour le lendemain, au labyrinthe du jardin des Plantes.

Dans la crainte qu’il n’y manquât, j’aurais au moins voulu lui arracher tout de suite le nom et les indications principales ; mais il prit un air de mystère, prétendit qu’il avait des secrets importants à me révéler et fut exact au rendez-vous du lendemain.

Quand je revis cet enfant au jour, je fus frappé de la beauté extraordinaire de ses traits et de l’élégance gracieuse de son corps, en dépit des misérables haillons dont il était à peine couvert. Tout en lui annonçait une vive intelligence, son regard pénétrant, son sourire expressif, la justesse de ses souvenirs, et la facilité avec laquelle il parlait une langue dont il n’avait pas la première notion dix-huit mois auparavant. Son vocabulaire pittoresque frisant l’ignoble était celui du milieu où, depuis Fontainebleau, il avait traîné son impudence et sa misère ; et, malgré ce cachet impur, il y avait dans son accent espagnol peu accusé, dans sa voix suave, dans sa prononciation fine, je ne sais quelle distinction et quel charme qui formaient un douloureux contraste entre sa nature et sa situation.

Voici le récit vrai ou faux dont il me gratifia :

Son père était un gitano d’Andalousie, qui exerçait aux environs de Séville la profession de raseur de mulets. Il faut savoir qu’en Espagne on rase le poil des chevaux communs, des ânes et des mulets. Les bohémiens sont généralement employés à cette fonction sociale. Ce père était bon chrétien. (Tous les gitanos d’Espagne, terrifiés par l’inquisition, affectent une dévotion outrée, et encombrent de leurs adorations le porche des églises, sans réussir à persuader aux populations qu’ils ne pratiquent pas en secret le culte du diable.) Il s’appelait Antonio, et rien de plus ; sa femme faisait des corbeilles, tirait l’horoscope, chantait et dansait sur la voie