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Page:Sand - La Filleule.djvu/155

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Mon fragment musical fut applaudi avec transport ; deux morceaux eurent les honneurs du bis. Les journaux, notez que je ne connaissais pas un seul journaliste, déclarèrent que Louis Stéphen était un jeune compositeur destiné à remplacer tous les maîtres morts, à effacer tous les maîtres vivants. J’étais tombé sur une veine de bienveillance de ces messieurs pour le seul être parfaitement inconnu dont ils n’eussent pas de mal à dire.

Ma nouvelle littéraire et mon mémoire scientifique eurent un succès égal dans les deux classes de public auxquelles ils s’adressaient. J’étais le premier écrivain de l’époque, au dire de bien des gens qui ne s’y connaissaient pas, et de plusieurs écrivains qui en voulaient à leurs confrères.

Ma gloire dura environ six semaines. Durant six semaines, on s’entretint dans le monde, tantôt d’une de mes œuvres, tantôt de l’autre. Un feuilleton qui avait pour titre les Jeunes Gloires, décréta que l’avenir appartenait à un nouveau littérateur, à un nouveau compositeur de musique, à un nouveau savant, qui avaient fait simultanément leur apparition dans le monde. Un parallèle ingénieux établissait que, si Louis Stéphen n’avait pas la grâce de Jean Guérin, en revanche, il avait la profondeur qui manquait peut-être à ce dernier, mais que ni l’un ni l’autre n’avait le brillant, le passionné de Paul Rivesanges, et qu’il existait entre ces trois génies, sortis d’écoles toutes différentes, une diversité merveilleuse qui leur permettait de grandir sans se gêner mutuellement.

Un instant, je crus que Clet, avec qui je m’étais lié de nouveau, et qui avait, par d’excellents procédés, réparé tous ses torts envers moi et envers mes amis, était l’auteur de cette plaisanterie. Mais Clet, qui ne me connaissait que sous le nom de Stéphen Rivesanges (car j’avais pris l’habitude de ne porter que le nom de ma mère), et qui n’avait pas fait attention à