Page:Sand - La Filleule.djvu/162

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gine, à tes deux anges gardiens, est le plus doux souvenir que je puisse l’envoyer. Cet envoi, chère enfant, est le dernier que j’aurai à t’adresser, et, si Dieu le permet, j’arriverai peu de temps après cette lettre. Jusque-là, continue d’être la joie et le bonheur de tes deux mères, à les chérir, à leur épargner l’ombre d’un chagrin, à leur parler de moi, et à prier pour le bonheur de celui qui t’aime et te bénit !

» STÉPHEN. »

Il va donc enfin revenir, mon cher parrain, mon bon Stéphen ! Quand je pense qu’il y a deux ans que nous ne l’avons vu ! Deux ans ! c’est deux siècles, à mon âge ! C’est tout au plus si je me souviens de sa figure, et pourtant je pense à lui bien souvent, tous les jours. Je l’aimais tant, lui, et il était si bon pour moi ! Pas meilleur que mamita cependant, c’est impossible ; moins tendre même, moins indulgent, quelquefois un peu grondeur. Mais je ne sais pas ce qu’il y avait en lui de si persuasif, de si imposant parfois, de si attrayant toujours. C’était peut-être sa grande supériorité sur tout ce qui m’entoure, dont je ne me rendais pas bien compte alors, mais que je subissais par instinct. Et puis, il est plus jeune que mamita, et ce qui est jeune plaît toujours mieux aux enfants.

Pourtant, il me paraissait un homme mûr, et, à présent, quand je demande son âge et qu’on me dit qu’il n’a que trente-quatre ans, je suis tout étonnée. Je me rappelle cependant qu’il avait les yeux un peu creusés, le teint pâle et quelques cheveux blancs. Voilà tout ce que je peux me représenter de sa figure. C’est singulier comme on regarde peu et mal à douze ans, comme on se fait des idées vagues et fausses ! je trouvais mamita vieille dans ce temps-là, et bonne maman décrépite. Aujourd’hui, celle-ci me paraît encore belle, et mamita si charmante, que j’en serais jalouse si je ne l’adorais pas.