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Page:Sand - La Filleule.djvu/165

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comble, il me pare, il me gâte… Dirai-je qu’il m’aime ? Hélas ! je ne l’ai jamais vu, je ne saurai peut-être jamais son nom. S’il m’enrichit et me protége, d’où vient qu’il se cache si bien ?

J’étais un peu avide de voir ce nouveau cadeau. Je n’avais guère dormi de la nuit, à force d’y songer. Ah ! je le vois bien, je n’ai pas dix-huit ans !

Mamita m’a conduite sur le perron du jardin, et là, j’ai vu arriver, en piaffant et en bondissant, à la main de notre vieux domestique André, le plus ravissant petit cheval arabe que j’aie jamais imaginé : noir comme la nuit, l’œil d’une gazelle en colère, des naseaux tout en feu, des jambes de lévrier, des pieds qui ne touchent pas la terre ; et avec cela doux comme un mouton, n’ayant peur de rien pourtant, solide comme un pont sur ses petits jarrets d’acier, enfin les dehors les plus brillants du monde, et pas un défaut de caractère, ni de conformation, à ce qu’on dit. J’ai entendu dire aux domestiques qu’un cheval comme cela a peut-être coûté vingt mille francs. Donc, mon père, ou celui qui le remplace auprès de moi, est immensément riche.

Ce bel animal était tout caparaçonné, tout sellé, tout bridé, avec des glands, des boucles, des tresses, des rubans, des fleurs, des perles. On lui avait fait, pour me le présenter, une toilette folle, comme pour offrir un jouet à un enfant. Oui, j’ai bien quatorze ans ! Si j’en avais davantage, on me donnerait plus sérieusement quelque chose de plus sérieux.

Alors ma bonne maman m’a fait le discours de tous les ans :

— Morenita, vous avez, de par le monde, un ami inconnu, un bon génie qui vous chérit et vous protége ; il sait tout ce que vous faites, tout ce que vous dites, tout ce que vous pensez.

Puis elle a ajouté :

— Il a donc su que vous mouriez d’envie de monter à cheval avec votre mamita, et que nous n’y avions pas encore consenti