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Page:Sand - La Filleule.djvu/167

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et que j’ai entendu dire à mamita qu’on pouvait tomber quand on ne savait pas sur quel pied le cheval galopait. J’aurais été bien embarrassée de le dire ; aussi j’ai préféré tirer sur la bride, et Canope s’est arrêté tout court ; si court, que, ne m’attendant pas à tant d’obéissance, j’ai failli passer par-dessus sa tête. De ce moment-là, j’ai compris tout de suite à qui j’avais affaire. C’est comme le bon piano de mamita, qui ne rend plus de sons si on l’attaque trop fort, et dont il faut se servir avec du moelleux dans les mains. J’ai fait retourner ce cher petit animal sur lui-même. Je ne savais trop comment m’y prendre ; mais je crois qu’il devine ce qu’on veut. C’est un vrai cheval d’enfant ; je suis venue vers mamita, m’amusant à passer du pas au galop et du galop au pas, tout cela si aisément qu’il me semblait n’avoir fait autre chose de ma vie.

Mamita était pâle. Bonne maman m’a grondée. J’ai demandé si mon cheval ou moi avions fait quelque sottise et ce qu’on avait à me reprocher, puisque j’avais vaincu ma peur et que je revenais saine et sauve.

— Vous avez entendu que votre mère vous rappelait, a dit bonne maman, et vous n’avez point obéi.

J’ai dit que je n’avais pas entendu.

— Eh bien, a repris la grand’mère, votre cœur aurait dû entendre que le sien battait d’effroi et de souffrance.

J’ai embrassé mamita en lui demandant pardon. Elle a dit à André d’aller vite chercher son cheval afin de m’accompagner, et m’a permis de faire le tour du parc avec lui. Je l’ai fait trois fois ; j’étais comme ivre, comme folle. Dieu ! quel plaisir de monter à cheval ! J’avais bien raison d’y rêver toutes les nuits. C’est le paradis des fées !

En revenant, André a dit à maman :

— Vraiment, madame, je crois que nous n’aurons rien à lui enseigner. Elle trouve d’elle-même tout ce qu’il faut faire, et n’a peur de rien.