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Page:Sand - La Filleule.djvu/171

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nuls ; il n’en existe pas pour exprimer mon amour, ma passion… Oui, c’est une passion dévorante que cet amour si calme auprès de toi, si déchirant de loin ! Tu remplis l’âme qui te possède d’une joie si complète, qu’à tes côtés on savoure l’infini ; mais être séparé de toi par des continents, par des mers, par d’autres étoiles que celles qui ferment notre horizon, passer des jours, des mois, des années sans te voir, sans t’entendre, sans te presser sur mon cœur, c’est l’horreur de la tombe, moins le repos de la mort. Jamais, jamais je ne recommencerai cette épreuve. Je ne sais comment j’ai pu y résister…

Que ta mère chérie te donne la force qui me manque ; que cet ange béni te verse une double tendresse, qu’elle essuie tes larmes en secret ; qu’elle me conserve ces beaux yeux qui sont mon empirée, mon ciel sans limite, ma source sans fond…

Folle, qui croit que je la trouverai vieillie ! C’est moi qui suis vieux maintenant. Loin de toi, j’ai cent ans. Je n’ai ni cœur, ni volonté, ni force, ni repos. Ah ! je n’étais pas né pour ce qu’on appelle les grandes choses, moi ! Je ne sais pourquoi j’ai aimé les sciences et les arts avant de te connaître. C’était le besoin de te rencontrer qui me faisait chercher mon idéal dans l’univers. Je t’ai trouvée, je n’ai plus cherché. Je n’ai plus travaillé que pour te mériter aux yeux du monde. Ce jour est-il enfin venu, mon Dieu ? Ah ! pourquoi n’a-t-on pas laissé ces deux pauvres cœurs s’adorer et se fondre ensemble dans l’oubli de tout ce qui n’était pas eux ! C’était donc un crime de notre part que de n’avoir besoin de rien et de personne ?…

Oui, certainement, les lettres de la Morenita sont charmantes, je dirais surprenantes pour son âge, si je n’avais assisté au rapide développement de cette étrange petite créature. Elle sait exprimer, avec une facilité rare, toutes ses jeunes lubies ; et ce qui ne la fait ressembler à aucune des petites merveilles qu’on rencontre de temps en temps dans les arts ou dans les sciences, c’est qu’elle n’a ni science ni art, et qu’elle garde, dans l’ex-