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Page:Sand - La Filleule.djvu/177

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— Non, lui a-t-elle répondu, pas encore. Il faut, pour que cela vous plaise, que vous vous sentiez en train de rêver, et c’est trop tôt.

— Oui, oui, a-t-il repris : la rêverie, c’est le bonheur qu’on savoure, et je ne suis pas encore assez remis de la joie de me trouver ici.

J’ai écrit ces phrases pour ne pas les oublier. Je ne les comprends guère ; mais elles me font rêver aussi, moi. C’est donc un bien grand bonheur que l’amitié, puisque voilà un homme si heureux de la société de mamita !

Ah ! je suis trop seule, moi ! Je ne connais pas toutes ces douceurs de sentiment dont on parle autour de moi. Mamita est heureuse de ne jamais quitter sa mère ; M. Roque est heureux de revoir mon parrain. Schwartz est heureux de voir les autres si heureux. Il n’y a que moi qui me sente triste souvent et ennuyée au fond du cœur. Je les aime certainement autant qu’on peut aimer, ces bons parents adoptifs ; mais cela ne fait pas que je ne désire et ne rêve rien hors d’ici. Quoi ? je ne sais pas ! quelque amitié qui me fasse trouver que je suis heureuse comme les autres, ou quelque distraction qui me fasse oublier que je ne le suis pas.

M. Clet, que je continue à détester cordialement, et qui, je crois, me le rend bien, a beaucoup parlé du monde, et des fêtes, et des spectacles de Paris, toutes ces belles choses que j’entrevois à peine, du fond de notre chartreuse de la rue de Courcelles, et que mes mamans déclarent si puériles et si maussades ! Quelle étrange idée ont les gens graves de vouloir dégoûter les autres de ce qui leur déplaît ! Mon parrain est de leur avis. Eh bien, pourquoi est-il un homme de si grand mérite ? Pour qui s’est-il donné la peine de savoir tant de choses ? Est-ce que ce serait pour mamita toute seule, comme il a l’air de le lui dire avec ses yeux, quand il reçoit son éloge ? Elle doit être bien fière au fond de son cœur, si cela est ainsi !