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de mon existence que j’ai besoin de me résumer à moi-même ; mais j’ai besoin aussi de me rendre compte succinctement des circonstances et des impressions qui m’y ont amené.

On m’a souvent reproché d’avoir un caractère exceptionnel. Voilà ce dont il m’est impossible de convenir, puisque je ne m’en aperçois pas et qu’il me semble agir en toutes choses dans le cercle logique de ma liberté légitime, et non-seulement dans celui de mes droits, mais encore dans celui de mes devoirs.

Ne connaissant personne à Paris, devant y rencontrer seulement quelques camarades de collége, je n’eus pas la tentation d’y faire une installation plus brillante que mes ressources ne me le permettaient. Seulement, dès les premiers jours, je compris que l’hôtel rempli d’étudiants était un milieu trop bruyant pour la tristesse où j’étais encore plongé et que n’avaient point adoucie les adieux de mon père. Je louai une mansarde dans le voisinage du Luxembourg et dans une maison tranquille. J’achetai à crédit un lit de fer, une table et deux chaises. Longtemps ma malle me servit de commode et de bibliothèque. Peu à peu, m’étant acquitté de mes premiers achats, je pus m’installer un peu mieux et me trouver matériellement aussi bien que possible, selon mes goûts. Ma mère m’avait donné ceux d’une propreté un peu recherchée pour ma condition et fort en dehors des habitudes de mes pareils. Mon père avait prédit que cela me conduirait à faire des dettes ou à ne me trouver bien nulle part. Il se trompait. Si l’homme habitué à un certain soin de sa personne a plus de peine à s’installer que celui qui se contente du premier local venu, il a aussi, à s’y confiner, une secrète jouissance qui le préserve de la vie turbulente du dehors. C’est ce qui m’arriva. Quand je me vis dans des murailles revêtues d’un papier frais, et que je pus regarder les arbres du Luxembourg à travers des vitres bien claires, il me sembla que je pouvais passer ma vie dans cette mansarde, et j’y passai tout le temps de mon séjour à Paris.