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Page:Sand - La Filleule.djvu/197

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ter. Elle subira avec courage la profonde douleur de se voir arracher l’enfant qu’elle a recueillie et élevée avec tant d’amour, ainsi que la crainte assez fondée de voir achever l’éducation de cette enfant dans des conditions trop brillantes pour être aussi salutaires.

— Non ! s’écria vivement le duc, jamais je ne payerai par l’égoïsme et l’ingratitude le dévouement d’une si noble femme. Mettez à ses pieds mon cœur et ma volonté. Je ne lui reprendrais ma fille que le jour où elle me dirait : J’en suis lasse, je ne m’en charge plus. »

— Je n’attendais pas moins de vous, dit Stéphen. À présent, voici l’autre éventualité. La duchesse peut vouloir, par bonne intention, s’arroger certains droits d’adoption maternelle sur cette jeune fille, l’emmener dans le monde, la séparer momentanément de sa véritable mère adoptive ; enfin, contrarier beaucoup, à son insu, les idées que celle-ci s’est faites de l’avenir moral de son enfant. Un conflit de sollicitudes diversement entendues peut s’élever entre ces deux protectrices ; à laquelle des deux, vous qui, seul, avez l’autorité naturelle et légitime devant Dieu, donnerez-vous raison, si l’on vient à invoquer votre décision ?

— À madame de Saule, n’en doutez pas, répondit le duc avec un peu d’entraînement. À celle qui…

Il s’arrêta, craignant d’établir entre ces deux femmes un parallèle trop désavantageux pour la sienne. Il se reprit :

— À celle, dit-il, qui a, par quatorze années de soins assidus et de dévouements sublimes, acquis, devant Dieu et devant les hommes, une autorité plus légitime et plus sacrée que la mienne. Êtes-vous content, et croyez-vous que madame de Saule serait plus tranquille si j’allais moi-même, dès ce soir, la confirmer dans ses droits ? Ma femme a si longtemps surveillé toutes mes démarches, que je n’ai jamais osé aller remercier, de vive voix, cet ange de vertu et de bonté. Je crai-