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Page:Sand - La Filleule.djvu/211

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— Qu’en savez-vous, Morenita ? reprit Stéphen stupéfait de ce mélange d’audace et d’innocence, de ces paroles insensées avec une ignorance si complète de leur portée. Savez-vous que, pour aimer parfaitement, il faut être trois fois éprouvé, trois fois saint devant Dieu, et que cela n’est pas donné aux enfants terribles comme vous, qui veulent tout dominer, tout accaparer, tout briser autour d’eux ? Et que m’importe que vous m’aimiez avec rage, comme vous dites, à moi qui suis aimé avec religion ?

— Eh bien, non ! s’écria Morenita, pleine de l’amer triomphe d’une vengeance de femme déjà bien sentie, vous n’êtes pas aimé avec religion ; et, comme mamita est la vertu même, elle ne vous aime pas du tout.

— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Stéphen, l’examinant avec surprise et méfiance.

— Cela signifie, répondit Morenita, que, si maman vous aimait comme vous dites, elle vous aurait épousé. Eh bien, quoique je sois une petite fille, je sais qu’on ne doit pas trop aimer un homme dont on ne veut pas, ou dont on ne peut pas faire son mari.

— Alors, ne m’aimez pas trop, Morenita, dit Stéphen avec un sourire de pitié ; car je ne peux ni ne veux être le vôtre. Puisque vous savez tant de choses et faites de si beaux raisonnements, vous auriez dû vous dire cela avant de m’aimer à la rage.

— Est-ce donc que vous êtes le mari de mamita ? s’écria la petite fille frappée de terreur.

Et, se levant, elle ajouta avec une énergie mêlée d’une grandeur extraordinaire :

— Si je le croyais, je demanderais pardon à Dieu de tout ce que j’ai osé dire et penser.

— Eh bien, je suis le mari de mamita, répondit Stéphen gagné par la solennité que prenait cet entretien, un entretien