Page:Sand - La Filleule.djvu/241

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aviez besoin de son amour, vous si heureuse, si raisonnable, et d’un âge où le cœur n’a plus besoin de passion ?… Hélas ! j’oublie toujours que Stéphen est plus près de l’âge de mamita que du mien ! Oh ! c’est lui que je hais ! lui qui m’a humiliée et qui n’a pas eu le plus petit effort à faire pour me trouver si inférieure à sa femme !

Comme la visite que nous leur avons faite hier soir m’a irritée ! Il fallait bien aller souhaiter la bonne année à ma mère adoptive. Le duc est réellement enthousiaste d’elle, je crois ; la duchesse, qui dit les mots tels qu’ils sont, prétend en riant qu’il en est amoureux fou. Il est singulier qu’elle n’en soit pas jalouse, elle qui l’a été, dit-on, avec excès. Moi, je le suis ; j’étais blessée de voir mon père regarder une autre que moi, et en parler avec cette admiration. La duchesse s’amuse des engouements de son mari. Elle raille un peu les femmes qui y croient. Elle a eu l’air de dire hier, mais sans aucun dépit, que mamita était contente de plaire au duc, et, comme je disais qu’elle n’avait jamais été vaine :

— Ne croyez pas cela, m’a-t-elle dit : les femmes qui s’en cachent le mieux sont celles qui y mordent le plus.

Est-ce possible ? Ah ! si mamita était coquette, j’en serais bien contente ! Stéphen ne serait plus si fier ni si heureux !

Ah ! je sens que je deviens méchante ! Oui, il faut l’être, puisque je suis haïe.

Et pourtant je ne peux pas oublier ! Oh ! que je ne retourne jamais avec mamita ; car, s’il fallait m’en séparer encore une fois, j’en deviendrais folle ! C’est elle qui ne me connaît guère ! Ne s’est-elle pas imaginé qu’elle avait du chagrin et que je n’en avais pas ! Elle se sera consolée le soir même en sentant le baiser que Stéphen met chaque soir sur sa main ! Ah ! quel baiser ! J’ai été bien longtemps sans le comprendre ! mais le jour où je l’ai compris, il me faisait tressaillir, il me mettait chaque fois la rage et le désespoir dans l’âme ! Que de choses dans une