Page:Sand - La Filleule.djvu/246

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Comme un enfant boudeur et entêté, elle s’était imaginé qu’elle ou Stéphen la supplieraient bientôt de revenir faire la joie de leur intérieur, et, tout en se promettant de ne pas céder, elle s’était réjouie de songer qu’elle serait toujours à même de le faire ; mais Anicée n’était pas faible et Stéphen était fort. La conscience d’avoir pris en pure perte une détermination folle et cruelle lui fit verser en secret un torrent de larmes.

Mais le repentir ne dura pas longtemps. Morenita n’était pas de nature à se dire qu’elle eût dû faire un grand effort de modestie et de religion, rentrer en elle-même, vaincre sa passion pour Stéphen, et se guérir par le sentiment du bonheur de sa mère. L’idée de résister à ses propres entraînements ne semblait pas admissible chez elle. Était-ce le résultat de cette paresse de l’âme, de cette nullité de la conscience qui était comme sa tache originelle, et qui la dominait fatalement ? Pouvait-elle et ne voulait-elle pas, ou ne pouvait-elle pas vouloir ? Hardi et savant celui qui tranchera de tels problèmes au fond des cœurs humains ! Qu’il prenne garde d’être trop indulgent pour notre nature, mais qu’il prenne garde aussi d’être trop cruel !

Le cœur était vivant et chaud (nous ne dirons pas bon) en elle, malgré ce désordre de la volonté. Si elle était sauvagement éprise de Stéphen, elle était attachée plus profondément encore à sa mamita. Elle ne s’était pas endormie ou éveillée un seul jour dans son lit de la rue de la Paix, sans songer à son petit lit de mousseline de la rue de Courcelles, et sans tremper de larmes son oreiller, en se rappelant ce dernier baiser du soir, ce premier baiser du matin qu’Anicée, pendant quatorze ans, était venue déposer sur ses paupières appesanties. Tout était changé dans sa vie, et, à chaque moment, elle sentait le prix de ce qu’elle avait dédaigné. Comblée de présents et couverts d’atours, sa soif de parures était déjà assouvie. Une toilette