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Page:Sand - La Filleule.djvu/253

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tion d’une façon magique. Comment ! ajoutaient ces dilettanti, est-ce qu’il a déjà fini ?

— Ah ! mon Dieu, est-ce qu’il va recommencer ? disaient les autres.

Le gitanillo écoutait ce croisement d’opinions d’un air fort calme, saisissant une parole à droite, épiant un regard à gauche, et accordant sa guitare avec beaucoup de lenteur et de majesté. Le programme de la soirée portait deux romances de lui, séparées par plusieurs autres morceaux chantés par les Italiens. Il n’en tint compte, et, voulant produire son effet, cramponné à sa chaise et rivé au plancher, sans qu’il y parût à la grâce aisée de son attitude, il commença un second air sans se faire prier par les uns, sans se laisser intimider par les autres.

Il emporta son succès d’assaut. Les vrais amateurs étaient fixés, et, sentant une résistance injuste, le couvrirent d’applaudissements plus chauds et plus bruyants qu’il n’est d’usage dans le grand monde.

Il y eut, sur quelques fauteuils, une muette indignation. L’Espagnol de race hait le gitano, comme le Polonais hait le juif, comme l’Américain hait le nègre, comme l’Indien hait le paria.

C’est assez, dit le duc bas au gitanillo, en lui parlant d’un air fort poli, au milieu du groupe de musiciens où il était rentré

Et il lui glissa dans la main un petit rouleau d’or, en lui désignant la porte d’un regard furtif, sans dureté, mais sans appel.

Rosario, content de son succès, s’éclipsa ; mais comme il serrait sa guitare dans l’antichambre, il revit près de lui la figure du duc, qui lui dit, en le regardant avec attention :

— Comment vous appelle-t-on ?

— Algénib, répondit le gitano.