Page:Sand - La Filleule.djvu/283

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Alors il cessa de feindre. Une douleur réelle, mêlée de dépit et de jalousie, s’empara de lui. Il se leva.

— Vous me haïssez, dit-il ; c’est bien ! Vous pensez que je vous ai trompée pour vous séduire. Il me semble pourtant que je vous ai respectée ! Mais, quand il serait vrai que, pour vous voir, pour me faire aimer de vous, je me serais servi d’une vraisemblance, d’une fiction qui vous préservait de tout danger puisqu’elle m’imposait à moi-même une si pénible retenue, où serait le mal ? Si vous aviez un peu d’affection pour moi, vous ne m’en feriez pas un crime. Mais vous voilà prête à m’accuser des plus mauvaises intentions ou à me chasser comme un intrigant, parce que vous n’aimez et ne rêvez que votre Stéphen !

— Taisez-vous ! dit Morenita avec hauteur et sécheresse. Vous n’avez pas le droit de fouiller dans ma pensée, vous n’avez aucun droit sur moi. Ne nommez pas un homme à qui vous devez tout, et qui est incapable d’un mensonge, lui !

— Ah ! nous y voilà ! s’écria le gitano furieux. Elle l’aime toujours, et, moi, elle me méprise ! Ah ! fille de chrétien, race d’Espagnols, vous dédaignez le sein qui vous a portée ! Allez donc, retournez à ces parents d’emprunt qui flattent votre vanité, mais qui vous châtieront cruellement de votre tache originelle.

— C’est assez, dit Morenita offensée, allez-vous-en ! Vous n’êtes pas mon frère ; votre présence chez moi, à cette heure-ci, n’est plus jamais possible.

— Lâche que tu es ! s’écria le gitano, tu crains d’être blâmée ! Te voilà comme ces demoiselles hypocrites qui n’ont jamais un jour d’imprudence, et dont l’esprit corrompu est accessible à toutes les fantaisies où il ne faut ni franchise ni courage ! Eh bien, malheur à toi dans l’avenir ! Quant au présent, n’espère pas te débarrasser si aisément de moi. Tu es mauvaise, mais tu es belle ; je n’estime plus ton cœur, mais je