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Page:Sand - La Filleule.djvu/286

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cette aventure et n’en pas croire ses oreilles. Le duc ne dormit pas, il était en proie à une grande irritation. Dès le point du jour, il rentra chez Morenita et la trouva assise à la place où il l’avait laissée, plus rêveuse qu’abattue, et comme perdue dans ses réflexions.

— Monsieur le duc, lui dit-elle dès les premiers mots d’explication qu’il prononça, si vous avez été à portée d’entendre la scène que, pour moi, vous avez si heureusement dénouée, vous savez que vous n’avez aucun reproche à m’adresser, et vous me connaissez assez, j’espère, pour croire que je ne veux demander pardon de rien à un protecteur qui n’est pas mon père. J’ai peut-être eu tort de recevoir chez moi un jeune homme qui n’était pas mon frère, et de ne pas deviner qu’il me trompait. Mais ce manque de pénétration est un tort léger à mon âge : peut-être n’en est-ce pas un du tout dans la situation particulière où me jette l’ignorance de mon sort dans le passé et dans l’avenir. Le jour où je saurai de qui je suis la fille, à qui je dois confiance et soumission entière, je serai fort coupable si je manque à des devoirs si doux et si faciles. Jusque-là, il est tout simple que je m’étonne, que je m’inquiète, que j’ouvre l’oreille à toutes sortes de révélations et que je sois la dupe du premier venu.

— Ainsi, dit le duc un peu rassuré, ce gitano s’était fait passer pour votre frère ? Mais quel est-il ? C’est le même qui a chanté chez moi cet hiver ? D’où sort-il, et comment s’est-il introduit chez vous, ici, à l’insu de la duchesse ?

— Ah ! dit Morenita railleuse et triomphante, vous ne savez rien ? et vous êtes arrivé à temps pour m’empêcher d’être tuée par cet aventurier que vous supposiez aimé de moi, et seulement un peu trop pressé d’en obtenir l’aveu ?

— Je ne sais absolument rien, Morenita, que ce que vous voudrez bien m’apprendre, dit le duc, espérant la désarmer par sa franchise et sa douceur ; ce que vous m’accusez d’a-