Page:Sand - La Filleule.djvu/318

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presque sous vos yeux par votre père, et vous avez regardé, vous n’avez rien dit, vous n’avez pas maudit le sang chrétien ; vous étiez contente !

— Mon Dieu ! vous aviez voulu me tuer, vous, ou me contraindre à vous obéir sans amour !

— J’étais fou dans ce moment-là, j’avais la passion pour excuse. Vous, vous étiez de sang-froid en me voyant maltraiter, et vous aviez la lâcheté pour refuge.

— Ainsi, vous me dédaignez, et après m’avoir enlevée, vous allez m’abandonner ? Mais songez donc que c’est une honte pire que celle d’avoir été séduite !

— Vous ne savez pas ce que c’est que d’être séduite, ma pauvre señorita : vous ne le serez jamais, je vous en réponds, vous êtes trop méfiante ! mais vous serez outragée. C’est le sort de celles qui promettent et ne tiennent pas. Allons ! je vois que vous avez peur de vous trouver seule et que vous tenez à ce que j’aie l’air d’être votre dupe. Je me ris de cette prétention, je saurai la déjouer ; partons, si vous voulez. Mais alors il vous faudra aller où je veux.

— Où donc voudriez-vous me conduire ?

— Chez votre mamita et votre parrain Stéphen, qui, seuls, vous feront grâce et vous accorderont leur protection.

— Vous voulez me conduire chez mon parrain, vous qui étiez si jaloux de lui, et qui, vingt fois, m’avez menacée de me tuer si je ne l’oubliais ?

— Je vous ai dit que je ne vous aimais plus ; par conséquent, je ne suis plus jaloux de personne. Vous doutez donc encore de cela ? Vraiment, vous avez la fatuité bien tenace, miss Hartwell !

— Eh bien, partez donc, dit Morenita, blessée jusqu’au fond de l’âme. J’irai seule où vous m’offrez de me conduire. Pour retrouver mes vrais amis, je n’ai pas besoin de vous.