Page:Sand - La Filleule.djvu/324

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être. Quand Morenita eut parlé, il tremblait, il se soutenait à peine, il songeait à la prendre dans ses bras, à l’emporter, à fuir avec elle au bout du monde, si Stéphen hésitait à la lui accorder. Il avait même du courage, non pas peut-être le courage agressif refusé à son organisation, mais le courage passif, persévérant, indomptable.

Stéphen, qui avait regardé attentivement Morenita pendant qu’elle se déclarait ainsi, se retourna vers Algénib et le regarda de même.

— C’est bien, dit-il après un moment de silence. Pour moi, j’acquiesce à votre liberté autant que mes droits d’adoption sur vous deux me le permettent. Je vous demande seulement de venir consulter ma femme sur les moyens de fléchir la répugnance que le duc de Florès apportera sans doute à cette union.

— Le duc de Florès n’est pas mon père ! dit Morenita avec force. Il me l’a dit, je dois le croire. Il n’a aucun droit sur moi. Je n’ai qu’une parente, qu’une mère, qu’une tutrice, c’est votre femme, mon parrain, c’est mamita bien-aimée. Les lois ne me font dépendre d’aucune autorité. Mon cœur est libre de choisir celle qu’il me convient de regarder comme légitime et sacrée. Allons, mon parrain, retournez vers mamita, ajouta-t-elle. Dites-lui que j’arrive ; nous vous suivrons de près, mon frère et moi.

— Doucement, dit Roque, ceci n’est pas régulier. Vous n’êtes pas mariés, et nous sommes chargés de ramener une jeune personne, et non deux jeunes époux, à mamita.

— Pardonnez-moi, monsieur Roque, dit Morenita en regardant Algénib, et en dissipant ainsi le nuage qui déjà obscurcissait son âme inquiète et jalouse ; mais, sans mon fiancé, cela n’est ni convenable ni possible.

Stéphen comprit cette fermeté et l’admira. Il était trop pénétrant pour ne pas voir que Morenita faisait un dernier effort