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Page:Sand - La Filleule.djvu/69

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» — Est-ce que vous croyez que je veux vous la voler, votre petite fille ? Elle n’est pas déjà si belle !

» — Ma foi, elle n’est pas, lui ai-je dit de même, bien blanche ni bien grasse ; mais vous n’avez rien à lui reprocher de ce côté-là.

— C’était donc un bohémien ? demandai-je à mon hôtesse.

— Je ne saurais pas trop vous dire, répondit-elle. C’était un homme très-brûlé du soleil ; mais malgré que ces gens-là se marient toujours entre eux, il y a bien du sang mêlé dans leur race. J’en ai vu qui étaient noirs comme des nègres et d’autres qui étaient presque blancs. Je jurerais que notre Anna est la fille d’un chrétien d’Espagne, car elle n’a pas les grosses lèvres et les cheveux crépus, et quant à sa peau, il y a bien des gens du midi de la France qui ne l’ont pas plus blanche.

— C’est vrai ; mais continuez votre récit. J’ai dans l’idée que ce visiteur brun et laid était de la tribu, qu’il savait très-bien l’histoire de la naissance de Morena et qu’il venait pour la réclamer ou pour l’enlever.

— Il ne l’a pas réclamée du tout. Je n’avais pas grande envie de faire la conversation avec lui, et je n’ai voulu ni le questionner ni l’écouter. Il s’en est allé en ricanant et en disant :

» — Si votre mari est longtemps malade comme ça, voilà un petit enfant qui ne sera guère soigné ou qui vous gênera beaucoup. Vous serez forcée de le mettre en nourrice…

» — C’est bien, lui ai-je dit.

» Et il est parti sans rien demander.

— Tout cela et ce que j’ai vu tout à l’heure me confirment dans mon idée, mère Floche : l’homme qui regardait chez vous à travers la vitre était probablement le même que vous avez reçu et congédié ; et, quant à l’enfant, qui ne s’est pas présenté chez vous, mais qui s’est caché à mon approche, je jurerais que c’est le frère de Morena.