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Page:Sand - La Filleule.djvu/76

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voulez suivre, et vous reviendrez avec nous à Paris. Comme nous comptons emmener Morena, vous ne l’aurez pas perdue de vue un seul jour.

J’eus le courage de refuser ; je sentais d’avance tout ce que Roque aurait à me reprocher si je m’endormais ainsi dans les délices. Madame Marange insista.

— Tenez, me dit-elle, ce n’est pas une offre que je vous fais, c’est une preuve d’amitié que je vous demande. Je ne peux pas vous dire pourquoi et comment vous nous rendrez service en nous sacrifiant ces vingt jours ; je vous le dirai probablement plus tard.

Je n’hésitai plus, je promis. J’allai recevoir Roque à la diligence de Paris ; car, cette fois, il n’avait pu revenir par Fontainebleau. Il me gronda, il me railla, il me menaça de m’abandonner à mon apathie si je le quittais. Je le quittai. Je revins à Saule le lendemain.

— Tenez, me dit madame de Marange, le soir même, en se promenant seule avec moi au jardin, je suis si reconnaissante de votre dévouement, que je veux vous dire tout de suite en quoi il consiste. C’est à nous préserver de la malveillance d’un petit ennemi que nous nous sommes fait. Ce pauvre M. Hubert Clet ne s’est-il pas imaginé de faire à ma fille la plus sotte, la plus ébouriffée, la plus ridicule déclaration d’amour ? Elle en a ri. Ça l’a blessé, et cependant il reste, après avoir toutefois juré de ne pas recommencer. Nous ne trouvons pas que nous devions le chasser, cela n’en vaut pas la peine. Ma fille a trente ans. Elle a déjà derrière elle une vie si sérieuse et si irréprochable, qu’elle aurait mauvaise grâce à éloigner d’elle un si pauvre danger. D’ailleurs, mon fils, qui, naturellement, ne sait rien de cela, et qui, sous ses airs d’enfant gâté, cache des instincts assez chevaleresques, pourrait bien faire un mauvais parti à son ami. M. Clet est volontiers rogue, et ne se laisserait pas traiter comme un