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Page:Sand - La Filleule.djvu/92

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dre un beau son. Moi qui suis habitué au petit instrument bien criard de ma pauvre mère, je n’en suis pas moins avide quelquefois de galoper sur un coursier plus souple et plus puissant. Avec un doigt, j’interrogeais à petit bruit les dernières touches, celles dont est privée mon épinette surannée.

On a parlé de ce départ ; je n’ai pas tressailli, j’espère ; mais ma main droite s’est crispée involontairement et un sanglot rapide et sourd s’est échappé de l’instrument trop sonore.

— Ah ! il joue du piano, il est musicien ! s’est écriée madame Marange ; il est capable de tout savoir sans qu’on s’en doute. Allons, dites-nous quelque chose de bon. Tout à l’heure, une jeune parente vient de nous faire subir, de par sa maman, un rondo si féroce, que nous en avons encore les nerfs agacés. Guérissez-nous, si vous êtes médecin. Vous ferez une bonne action.

Clet, qui vient encore de temps en temps, est entré en ce moment. Clet méprise tout ce qui ose faire de la musique, parce qu’il professe pour la musique en elle-même un culte que rien ne peut satisfaire. Il m’a supplié de ne pas jouer. Cela m’en a donné envie, ne fût-ce que pour distraire de sa conversation madame de Saule, qui le trouve insupportable. J’ai joué d’une manière très-enfantine une chanson de mon pays. Elle a plu à madame Marange. Clet a daigné approuver la modestie de mon choix.

Anicée n’a rien dit du tout.

Là-dessus on est venu lui dire tout bas que l’accordeur était là.

— Il vient trop tard, ce bon Schwartz, a répondu madame Marange. On l’avait demandé pour sept heures, il en est neuf, et nous avons avalé le rondo à huit. Priez-le de revenir demain dans la journée.

Le nom de Schwartz m’avait un peu surpris ; mais tous les